Le mercredi 27 novembre, Planète Robots et le CRIIF ont organisé un débat autour du thême « Robotique et Economie ». Le magazine tient à remercier les participants :
M. Gilles GHRENNASSIA (GG), CEO de NoveUp. Son entreprise développe VisioConsult une station de télé-santé pour personnes dépendantes. Elle sert à la fois de plate forme de télé conférence et d’unité mobile en cas de situation d’urgence.
M. Rodolphe HASSELVANDER (RH), Directeur général du CRIIF, laboratoire de R&D dans le domaine de la robotique. Il crée actuellement une startup pour commercialiser des robots d’assistance à bas coût.
M. Joël MORILLON (JM), Directeur Général Délégué de Nexter Robotics. Nexter considère que le marché de la robotique militaire et de sécurité est là. L’entreprise travaille en particulier au transfert industriel de ce que savent faire les labos pour l’amener jusqu’aux utilisateurs opérationnels.
M. Robin RIVATON (RR), spécialiste en économie, membre du conseil scientifique de la Fondapol. Il a participé à la réflexion au plan robotique du ministère du redressement productif. Ouvrage : « Comment relancer notre industrie par les robots ».
M. David JANISZEK (DJ), Maître de conférence en informatique à l’université Paris Descartes. Utilise la robotique comme vecteur de ses travaux et en pédagogie, pour l’apprentissage de l’informatique auprès des étudiants.
La robotique : de bons chiffres ?
Début 2013, le cabinet Xerfi publie une étude annonçant que « les ventes mondiales de robots professionnels vont croître de plus de 7% par an entre 2013 et 2015 ».
JM : Pour le domaine de la Défense et de la sécurité, ce n’est pas aussi flagrant.
RH : Les bras de robots industriels poussent cette tendance. Les chiffres de la robotique industrielle étaient déjà bon et le restent. Pour la robotique de service, en dehors des robots aspirateurs, nous n’avons pas ces valeurs.
RR : La vente d’un robot industriel représente celle de nombreux robots domestiques. En valeur, les robots aspirateurs ne représentent pas une grande part du marché. Entre 2013 et 2015, avec les plans annoncés, le chiffre de 7 % sur les robots industriels ne me paraît pas infondé et pourrait tirer le marché.
GG : Sur les robots aspirateurs, en nombre de ventes, on est sur une croissance du simple au double.
JM : Mais les rapports statistiques de l’IFR montrent une décroissance dans certains secteurs comme la défense et la sécurité, maintenant que les Etats-Unis ont moins de guerre en cours.
RR : Dans l’industrie, la Chine tire le marché, mais les robots qu’elle utilise sont fabriqués sur son sol. Les Américains reviennent dans le jeu car ils étaient en retard. En terme de fabrication, les premiers sont les Allemands et les Japonais, mais avec des robots fabriqués en Chine pour ces derniers. La Chine n’autorise que la vente de robots fabriqués chez elle.
Effet sur l’emploi
RR : Pour l’industrie, une partie de la destruction d’emplois vient de l’automatisation. C’est du remplacement d’emplois très difficiles ou très routiniers. A tel point que cela a parfois lieu sous l’impulsion des syndicats.
RH : Des études annoncent que tous les 6 robots industriels posés, un emploi est créé.
RR : Ce remplacement est utile pour un certain nombre de tâches. Mais il faut réussir à transformer le salarié concerné pour adapter ses tâches.
RH : Sachant que tous les salariés n’ont pas envie de le faire, ou n’en sont pas capables.
JM : A un horizon court, la robotique est destructrice d’emploi. Elle devient créatrice sur le long terme. Elle crée des emplois de nature différente, que les nouvelles générations pourront appréhender. L’entreprise gagnera plus d’argent, qu’elle réinjectera. C’est réellement un transfert. Mais pour celui qui est concerné par la suppression de son poste…
RR : En France, la situation est différente, puisque la compétitivité de l’appareil industriel est tellement faible que les emplois sont condamnés si l’on ne fait rien. En robotisant, on réduit ou on annule le risque le destruction d’emplois. Cela a donc un impact positif. La plupart des entreprises qui ont robotisé se sont maintenues. Elle se remettent ainsi au niveau de la concurrence mondiale. Les pays qui ont maintenu leur industrie automobile sont ceux qui ont robotisé leur production (Japon, Corée, Allemagne). Les États-Unis ont perdu des emplois dans le domaine de l’automobile pendant des années.
DJ : Nous avons mené une enquête il y a deux ans pour améliorer notre communication. Les étudiants d’aujourd’hui ont une image positive de la robotique. Les héros de leur enfance étaient parfois des robots. Devenus adultes, ils s’étonnent que les robots ne soient pas déjà là. Ils considèrent que c’est une technologie d’avenir, mais ils voient qu’aujourd’hui on parle des emplois autour d’Internet ou des plate-formes mobiles. La robotique les intéresse mais ils sécurisent leur avenir professionnel. S’ils voyaient autant de robots que de mobiles, ils se poseraient probablement moins la question.
A chaque étape technologique, il y a une période d’adoption qui peut être un peu longue, avec quelques « success stories » qui peuvent être mises en avant, comme pour Internet. Quand il y a intersection de plusieurs domaines, comme en robotique, c’est plus compliqué, mais dès qu’un problème est résolu, la technologie fait un bond en avant et se développe rapidement.
De part le monde
DJ : En Australie, il y a une expérimentation pour remplacer les facteurs par des drones. A Las Vegas, à titre expérimental, leur utilisation commerciale est autorisée. Cela permet de concevoir des services plus rapides, mais sous-entend une adaptation de la législation. De plus, l’acceptation est nécessaire mais dépend des cultures. Elle est réelle au Japon par exemple. C’est également le cas en Corée qui prévoit de grands plans de développement.
RR : En Corée, il y a une vrai volonté politique. La robotique est une option dans le cursus des écoles, les enfants viennent aux salons de robotiques. Il ne faut pas surdimensionner l’aspect culturel : un jour, le gouvernement coréen a dit que l’avenir est dans la robotique, c’est tout. On dit que cela sera plus dur en Europe du fait d’un fond sociologique : Je n’y crois pas.
DJ : Un des plus grands plans en France fut l’installation du téléphone dans les années 70 : en moins de 6 ans, la France a rattrapé son retard.
RH : Il y a deux aspects dans l’économie. Le premier, c’est de trouver le robot « sympa ». Après, la question est « est-ce que je l’achèterais ? » Le téléphone répondait à un vrai besoin. Actuellement, le seul secteur qui fonctionne, c’est celui du robot aspirateur.
DJ : Si l’on considère que le robot aspirateur est un succès, c’est que nous nous orientons vers des petits robots spécialisés, pas trop chers, qui permettraient de ce fait une adoption plus rapide.
JM : Il faut que ça réponde à un besoin. Ce qui manque, c’est convaincre les utilisateurs de la valeur ajoutée. Cela devrait se faire au travers de la création d’une multitude de startups, pour tâter le marché. Sur le nombre, une majorité disparaîtrait ou se réorienterait rapidement, mais ce n’est pas important, car nous sommes dans la phase de création du business.
RR : En Corée, ce qui est sorti du grand plan national est plutôt moyen. C’est un Ipad à roulettes et un bide commercial.
DJ : Je ne suis pas convaincu sur la notion de besoin. Si on considère l’Ipad, au début, il ne répondait pas à un besoin, il s’est imposé grâce au marketing.
JM : C’est typique des stratégies d’innovation d’exploration, qui consistent à mettre à disposition des gens des objets simples, pour faire mûrir le marché. Il faut vraiment susciter le besoin, plutôt que de chercher LE robot extrêmement sophistiqué. Il faut mettre à disposition des utilisateurs des objets simples pour qu’ils disent ce que la robotique peut leur apporter. Il faut remarquer que le marché a du mal à démarrer : je pense qu’il faut y aller doucement.
DJ : Avec la voiture automatique, cela commence à fonctionner, mais elle ne décolle pas en France.
RH : La technique existe depuis 10 ans. En Europe, on se pose beaucoup de questions juridiques. Aux États-Unis, ils se lancent d’abord et se posent les questions après. Au final, ils avancent plus vite. Cela ne fait pas longtemps que Google s’intéresse à la voiture automatique et elle est déjà autorisée dans certains états.
JM : Avec la voiture, l’automatisation de fonctions se fait dans la continuité. De manière naturelle, dans quelques années, la voiture constituera un robot. C’est en opposition avec la technologie de rupture, qui veut imposer une révolution dans le quotidien. Dans le domaine militaire, nous sommes revenus à ce type de démarche continue, plus facile à adapter à des processus structurés.
RH : Pour la voiture automatique, il y a vraiment un besoin. En dehors de ça, à part pour les aspirateurs ou l’assistance aux personnes, le besoin de robotique est plus difficile à justifier.
JM : Soit on travaille dans la continuité et on introduit des fonctions automatiques dans des objets qui existent déjà, en finissant par aboutir au robot. Soit on favorise la rupture et il faut développer des petites machines très simples qui permettent aux gens d’appréhender ce qu’est la robotique. Nous sommes convaincus que le marché est là, mais le client potentiel n’est pas présent.
RH : C’est en lien avec le prix. Si le robot coûte 300 €, même s’il ne répond pas à toutes les normes, les clients essaieront. Actuellement, les fabricants de robots se disent qu’ils ne vont pas en vendre beaucoup et donc les vendent cher, ce qui bloque leur diffusion.
JM : Il faut créer l’achat impulsif, tant pis si le robot finit sur l’étagère.
RR : Aux États-Unis, pour équiper les PME, les fabricants ont repensé leur modèle, en fabricant un robot moins précis, qui dure moins longtemps, mais quatre fois moins cher : c’est Baxter.
JM : En France, il y a un rejet de la nouveauté. Quand nous présentions des drones il y a 10 ans, cela passait au-dessus de la tête de nos clients. La formation des militaires par exemple fait qu’ils ont du mal à s’ouvrir l’esprit.
RH : Et quand on regarde les cahiers des charges des robots pour l’armée on y trouve une foule de contraintes qui entraîne des coups exorbitants.
JM : C’est lié à un refus de la prise de risque. En cas d’accident, on cherche qui est responsable. On veut donc remplir toutes les conditions possibles technologiquement.
RH : Cela donne des robots très chers, que l’on ne prend pas et au final, on va acheter du matériel aux Américains.
DJ : Oui, parce qu’ils se sont autorisés à être permissifs en terme de contraintes.
L’article dans son intégralité est paru dans Planète Robots n°26 du 1er mars 2014.